samedi 9 juin 2012

La suite?

Je disais à la blague à des amis que nous aurions besoin d'un devin en ce moment. C'est peut-être un signe de fatigue, dans la bousculade des évènements politiques, que de demander une prédiction (on se demande « quand et comment cela va-t-il finir?), mais puisque me revoilà dans mon patelin d'où l'action politique est pour le moins limitée, je veux bien me prêter à cette aimable distraction.
Naturellement, les prévisions que j'émets seront vagues, du type de celles que l'on retrouve dans l'horoscope. Mais qu'on ne m'en tienne pas rigueur: une foule de chroniqueurs s'affairent à donner chaque jour leur opinion de manière rétrospective, mais ils leur échappe un élément essentiel auquel on reconnaît la force d'une théorie (ou d'une opinion): sa capacité d'émettre des prévisions qui se voient éventuellement corroborées.
Toute lutte politique est une lutte entre des forces politiques plus ou moins homogènes. Pour émettre des conjectures, il est nécessaire de concevoir un modèle et donc, de simplifier les choses. Et c'est pourquoi j'assumerai que les forces politiques sont justement plus homogènes que moins homogènes, hormis là où l'absence d'unité devient justement un facteur pertinent.
Il va de soi que le choix des pièces dans cet échiquier sera révélateur de mes propres biais idéologiques, néanmoins je pense qu'on peut se prêter au jeu des conjectures et réfutations scientifiques sans trop se casser le bécyk, puisque c'est juste un jeu et une réponse à un besoin.
D'abord, il faudrait délimiter notre question. Pour prédire, il faut circonscrire. Pour moi, ce qui m'intéresse, c'est la question des frais de scolarité, qui est le thème déclencheur, même s'il a su fédérer d'autres causes qui le dépassent peut-être, et en englober d'autres, plus souterraines.
Ici, je considère la grève étudiante un moyen en vue d'une fin, l'annulation de la hausse. Je m'en tiens à la question des frais de scolarité.
Je restreins sciemment le conflit à la sphère provinciale, bien qu'elle trouve des échos sur la scène canadienne (surtout depuis C-38) et internationale, car l'éducation est une compétence provinciale.
Et en effet je trouve que c'est un péril constant que de dissoudre ou distraire la cause étudiante dans une foule d'autres considérations plus ou moins urgentes. Si cet exercice doit avoir un effet secondaire, je souhaite que ce soit un rappel aux intentions premières de la lutte, qui sont ce qu'on oublie trop facilement dans le feu de l'action.
Donc, quels sont les groupes en présence? Le grand ensemble, c'est la totalité des Québécois et des Québécoises. Ensuite, il y a l'électorat. Ensuite, les groupes de pression politiques, dont le plus important est celui des étudiants. Enfin, il y a le gouvernement.
Simple. Simpliste? Chacun de ces ensembles peut se morceler à souhait, alors laissons-nous une chance de garder un oeil sur le "big picture".
Comme chacun a pu le constater, le gouvernement a tâché d'utiliser le conflit étudiant à des fins électoralistes, en essayant de s'imposer comme le représentant de la loi et de l'ordre, dans un Québec en proie à la pagaille.
Ce qui devrait nous sensibiliser au fait qu'il y a un enjeu dont dépend la cause étudiante: les élections. Cependant, ces élections peuvent survenir à tout moment dans les prochains 18 mois, avec une préférence pour le printemps et l'automne. Comme la prochaine "fenêtre" électorale se situe à l'automne, et que les dispositions de la loi 78 ne seront jamais plus effectives qu'avec la rentrée en classe prévue en août, il y a tout lieu de songer à un scénario de goulot d'étranglement politique à l'automne. La rentrée sera un moment décisif, et la façon dont les évènements se déroulent pourrait avoir une influence sur la tenue d'élections, qui à leur tour, auront une influence la hausse.
En passant, le gouvernement ne négociera pas, et d'ailleurs, les étudiants se compromettraient de négocier avec un gouvernement corrompu. Une des stratégie principale du gouvernement sera naturellement de compromettre les étudiants dans cette corruption, d'une manière ou d'une autre (ex: Arielle au Grand-Prix).
Le gouvernement ira en élections au moment où cela sera le plus clairement à son avantage.
Si le gouvernement de Charest est réélu, alors les frais de scolarité vont augmenter. Sinon, c'est une autre question, mais il est probable qu'ils seront simplement indexés. Mon call.
Avec tous ces axiomes, on peut commencer à tracer des trajectoires. D'abord, le pari du gouvernement doit être qu'en levant les classes et en imposant une loi restrictives, la mobilisation va s’essouffler pendant l'été, et que les regroupements politiques seront trop ankylosés, que les « esprits échauffés » auront eu le temps de relaxer pendant l'été, et que tout le monde voudra rentrer en classe et tourner la page à la fin de l'été. Pour les quelques récalcitrants, de menaçants bulldogs à l'entrée des campus devraient suffire à les dissuader.
Une sous-question cruciale serait donc de pouvoir déterminer si la mobilisation s’essoufflera ou non au cours de l'été.
Pour « persévérer dans son être », un mouvement social a besoin d'obstacles à vaincre. Sinon, il se ramolli et s'affaisse. Je crois personnellement que le mouvement ne peut se maintenir pendant l'été que s'il trouve des moyens originaux d'évoluer et de se maintenir en gardant le cap sur ses enjeux premiers. Il faudra donc qu'il se trouve, tout au long de l'été, une foule d'adversaires à combattre et qui seront à même de mobiliser l'indignation d'une fraction importante de la population (je ne saurais dire quelle fraction, peut-être un tiers, ou ce qu'il faut pour gagner des élections).
Les casseroles? Les manifs de soir? À poil, en vélo? Conférence et diffusion d'information et de propagande sur CUTV? Grève de la faim? Occupation? Procès?  Bien que le mouvement ait véritablement sa base « dans la rue », il ne faudra pas oublier la muse « diversité des tactiques ».
Puisque c'est principalement dans la rue que le mouvement a son siège, il faut trouver ses adversaires dans la rue. Les capitalistes et tous ceux qui sont susceptibles d'incarner une forme adverse ne seront pas tous aussi évidents que les richissimes bitch du Grand-Prix. Le festival Juste pour Rire, ça aurait pu, vu qu'il y a tellement de mauvais goût, mais ses organisateurs ont été assez fins pour distribuer des bonbons; on verra si ça marche. Le festival de jazz ne m'a pas l'air d'un candidat, lui qui organise sa propre manifestation quotidienne de marching band (d'ailleurs, c'est peut-être une idée). Le jazz et l'anarchie, ça va de pair il  me semble, alors c'est peut-être un allié plus qu'un adversaire, qu'on devrait aller chercher.
Pour la suite, je ne sais pas. J'ignore dans quel ordre s'enchaînent les festivals. Mon sentiment est que la fin-juillet sera le point le plus difficile à passer. Trop chaud. Trop de monde à l'extérieur. Les gens se douchebagifient dangereusement. Plus personne ne s'intéresse à l'actualité. Il faudra trouver une façon de rendre le tout rafraîchissant.
Si on passe ces deux semaines fatidiques, on est sauvé: l'approche du retour en classe suffira à faire resurgir les inquiétudes et les gens chercherons à savoir, les journalistes poseront des questions au gouvernement, les gens voudront des réponses précises et des garanties que tout se fera dans le calme.
Si ça arrive à peu près comme ça (et je sais que c'est vague, mais j'ai juste un cerveau), alors il est probable que la rentrée soit impraticable. Il se pourrait que la mobilisation soit encore telle que l'application de la loi 78 soit impossible. Non seulement au niveau des campus, mais encore à l'endroit des leaders étudiants. Car il faut que ceux-ci conservent un ascendant moral suffisant pour demeurer « inattaquables » aux yeux d'une portion importante de la population (disons encore un tiers). Il leur faut un capital de sympathie inébranlable.
Si c'est le cas, quelles sont les probabilités pour que le gouvernement jette l'éponge et déclenche des élections? C'est une question à laquelle je ne saurais répondre, car j'ignore jusqu'où le gouvernement Charest est près à se rendre pour poursuivre son programme de bradage des ressources québécoises (car c'est de cela qu'il s'agit, c'est ce que fait ce gouvernement). Il me semble qu'une fois les intérêts du parti assimilés aussi étroitement aux intérêts de ses partenaires économiques, il est peu vraisemblable qu'il veuille s'arrêter, se garder une petite gêne pour garder une goutte de légitimité morale. Jusqu'ici, les dissensions au parti ne sont pas suffisamment importantes pour inquiéter le chef. Le problème, c'est que j'ignore comment le gouvernement pourra « forcer » les étudiants récalcitrants à rentrer. Il est vrai que tout se joue en assemblée. Donc: la fatigue, le découragement, la volonté de « passer à autre chose », la paresse en un mot, pourra-t-elle faire en sorte de convaincre une majorité d'étudiants, dans les deux premières semaines de retour en classe, d'abandonner la lutte?
Jusqu'ici, j'ai été tenté de répondre « oui » à ce type de question à de nombreuses reprises. Pourtant, j'ai souvent été surpris de constater la richesse d'aberrations que recèle l'actuelle gouvernance, et je ne doute pas que les premiers témoignages de la nouvelle commission d'enquête ne viennent assaisonner la soupe politique actuelle. On trouvera, dans les prochains mois, de nombreuses occasions de s'indigner.
Il y a aussi un certains nombres d'indices que la balance est véritablement en train de pencher du bord des grévistes. La mobilisation se concrétise. Par exemple, l'abandon de ses cours par Laurent Proulx, qu'il justifie essentiellement par le fait qu'il n'avait pas le temps de se consacrer à la cause et qu'il n'était pas payé. Notons qu'il a reculé après la loi 78. C'était, somme toute, un modéré, mais cela met en lumière les avantages du camp adverse: les GND et Martine Desjardins sont-ils payés, eux?
Il est vrai qu'une partie de la lutte va se jouer en court. À court terme, il y aura les procès de GND et celui intenté par Anarchopanda contre la loi anti-masque. Dans le cas de GND, c'était un mauvais calcul, car quelle que soit l'issue, l'avantage ira au mouvement étudiant. Personne n'acceptera qu'un porte-parole d'un groupement étudiant soit condamné pour outrage au tribunal. Donc, le mieux serait qu'il gagne et que les veuls soient simplement fustigés. Dans le cas d'Anarchopanda, selon les informations très parcellaires dont je dispose, je crois qu'il gagnera sur les masques, mais perdra sur les trajets. Mon call: ça vaut ce que ça vaut.
C'est platte à dire, mais il faut aussi des revers pour souder les gens, pour engendrer la solidarité. La hausse est le grand revers il est vrai, mais il faudra d'autres embûches. Je regrette de ne pas pouvoir les anticiper.
Ce que je souhaiterais en réalité, c'est une sorte de calendrier politique, dont j'essaie de tracer le squelette en ce moment. Il faudrait pouvoir placer sur un axe temporel les évènements importants et prendre des dispositions en fonction de l'issue de chacun des micros-combats. Je sais que c'est utopique, mais quoi? En tout cas, jusqu'ici le mouvement a lutté sur tous les fronts et c'est un bon signe.

lundi 21 mai 2012

La politique est ailleurs


Ce mouvement de grève va finir par faire un mort.
Et moi, je ne suis pas de ceux qui croient qu'un martyr prouve quoi que ce soit. Bien sûr, les chances sont pour que ce mort survienne du côté des manifestants. Le mouvement recevra toute la sympathie populaire et c'en sera fait de Charest. Mais si c'était un policier?
Le gouvernement actuel est corrompu, décadent. La décadence est un symptôme de déliquescence du corps social qu'il concerne, mais il peut se propager. Puisque le mouvement démocratique d'opposition, les moyens pacifiques, n'ont pas suffit à faire reculer les Libéraux et leurs intérêts corporatistes, que faut-il faire? Se battre jusqu'à ce qu'on nous enferme, nous matraque, nous tue?
On ne se bat pas contre la maladie, contre la gangrène, pas plus qu'on argumente à son encontre. La seule chose raisonnable à faire, c'est de l'isoler. Il faut isoler ce gouvernement et tâcher de faire en sorte que la corruption ne s'étende pas au-delà.
Mais comment peut-on isoler un gouvernement qui tire à peu près tous les leviers importants de la société? Un repli vers des institutions saines et relativement indépendantes est possible. Il en reste: les réseaux communautaires, par exemple, sont à l'abri des dérives corporatistes. La politique municipale a de beaux restes, sauf à Montréal, qui n'est que restes.
J'entends déjà ceux qui dirons qu'il s'agit d'une forme de capitulation. Pas du tout. D'ailleurs, si vous gagnez et que le gouvernement recule, qu'allez-vous faire? Négocier avec des mafieux?
Non. Il faut attendre les élections, semer et cultiver une autre politique.

dimanche 13 mai 2012

Le règne de la médiocrité

Me voici vivant dans un petit village isolé de la Côte-Nord dont je tairai le nom, car les alertes Google de mes concitoyens auront vite fait de me retracer. Hors, j'ai besoin d'un espace pour dire des âneries. Peut-être aussi des méchancetés. En tout cas, quelque chose pour passer le temps sans que ma vie sociale en souffre.

Je sais mon blog n'est pas exactement sexy, je sais aussi que c'est d'un intérêt discutable que de se lancer dans un soliloque sur un quotidien pas toujours délirant. Je sais, je sais. Alors peut-être allons-nous parler de philosophie pour faire diversion à ce moi-moi-moi trop cru des confessions. Ah! Je déprime et j'angoisse, et l'alcoolisme a depuis longtemps consacré mon sacrificio del intelecto!

Une amie russe récemment arrivée à Montréal a publié un article intitulé « Lettre ouverte de remerciements au président de la fédération de Russie Vladimir Poutine ». C'est un texte très caustique dans lequel elle le félicite pour son nouveau mandat présidentiel et le remercie pour lui avoir donné une bonne carrière dans l'informatique, alors qu'elle se destinait à l'enseignement, une profession peu valorisée là-bas. Elle le remercie de lui avoir fait comprendre que tout est une affaire d'argent et qu'il faut révérer la stabilité. Ma compréhension du russe est limitée. Elle termine en disant « sans vous, nous n'aurions jamais osé aller nulle part ». « "Nous", ce sont les quelques centaines de milliers de russes qui formons la cinquième vague d'émigration, qui en votre honneur porte le nom "la poutinienne"! »

Ce texte a fait sensation là-bas et de milliers de gens se le sont relayé par les médias sociaux, et au moins un journal en a fait ses choux gras. Eh oui! Poutine est un motif suffisant de vouloir quitter le pays. Le machtpolitiker excède les jeunes Russes en mal de réformes, eux qui regardent avec cynisme le clan de Russie Unie diriger le pays avec une poignée d'oligarques.

Ce qui se passe là-bas jette une lumière sur ce qui se passe ici. Charest serait-il devenu un motif pour émigrer? Ne riez pas, je pose la question très sérieusement. Car nombreux sont les parallèles entre la situation Russie et ce qui se passe ici, en ce moment. Une poignée de jeunes suffoque sous le poids de la masse silencieuse qui appuie plus ou moins tacitement un gouvernement dont la corruption est avérée. Bien sûr, tout ici est plus cousiné, y compris les balles qu'on tire aux manifestants. Mais, pour en être plus confortable, notre politique n'en est pas moins délétère: on peut asphyxier quelqu'un avec un oreiller.

C'est même cette douilletterie et cette propension aux réactions épidermiques qui me pose problème. Car que se cache-t-il derrière tous ces « appels au calme », toutes ces « condamnation de la violence », ces hauts cris au « terrorisme » pour un peu de fumée dans le métro? Y aurait-t-il un malaise qui se donne des airs de vertu, parfois poussée jusqu'à l'hystérie?

Et encore: qui cherche-t-on à s'allier par la condamnation morale de la violence? Cui bono?

Ce gouvernement profite aux médiocres. Charest, cet éternel médiocre au sens ancien et nouveau du terme, un temps nécessaire au Québec pour son étonnante capacité de résilience, celui-là est aujourd'hui à la tête d'une médiocratie qui trouve ses appuis à tous les échelons de la société. Cette médiocratie, qui se gave de « la loi et l'ordre », qui rêve au « Québec inc. » et qui pense sincèrement qu'une bombe fumigène dans un métro constitue un acte de terrorisme, toute cette race moutonnière qui vivote dans le spectre du petit-bourgeois, ou dans l'ombre fraîche et moite de ce spectre, je le hais! Je ne vois pas comment on peut argumenter avec de pareils minables autrement qu'à coup de pieds! Alors condamner la violence? Mais c'est ça qui est intolérable, voilà le véritable attentat!

Alors, que nous reste-t-il? Émigrer!